mardi 2 juillet 2013

I Walked Across The Universe

I.


Sbaf !
La gifle est partie.
Maintenant il est trop tard.



II.


Je me suis assoupie. Mon esprit vagabonde. Je rêve d'un monde meilleur.

Un cri me réveille.
Un cri de femme.

Des bruits de coups, des pleurs, des grognements de rage.
Je me bouche les oreilles. Je murmure une mélodie pour m'évader.
« I walked across the universe »




III.


La femme me regarde.
J'ai l'impression qu'elle veut me bouffer. Ses yeux perçants semblent me pénétrer, violer mon esprit.
Pourquoi suis-je ici ?
La femme parle. Je ne comprend rien. Ma vue se floute.
Néant.



IV.


Je me réveille. Allongée sur un matelas de fortune, à même le sol, je reprend lentement conscience de ce qui m'entoure.
J'aimerai me rendormir. Je suis si fatiguée !
Mais pas moyen d'être tranquille. D'autres personnes ont rejoint la femme. On me presse de questions.
Qui était-il ? Était-ce fréquent ?
Je ne comprend pas. De quoi me parle-t-on ? Où est ma mère ? Je veux la voir.


Maintenant je me rappelle. Ils veulent que je leur raconte la nuit précédente, cette nuit de cauchemar.
J'ouvre la bouche, tout le monde se tait.


V.


C'était assez fréquent, dès qu'il buvait en fait. Ma mère n'a jamais rien dit. Jusqu'au jour où la violence faillit la tuer.
De ma chambre, j'entendais tout : les cris, les bruits de coups, les pleurs.
Il n'a jamais levé la main sur moi, mais j'ai quand même énormément souffert.
Savez-vous ce que c'est que d'écouter votre mère mourir à petit feu sans ne rien pouvoir faire ?
Quelle horreur que de se sentir impuissante ! Combien de fois les larmes de rage et de frustration ont-elles saisi ma gorge ? Combien de fois ai-je voulu m'enfuir, vers un monde où la violence n'est pas toute puissante ?

« Soul in peace, heart in love »

Désormais, mes rêves utopiques me hantent. Mon cœur plein d'espoir est maintenant vide.




VI.


Ce soir de cauchemar fut le dernier d'une interminable série. Ce soir où, dans un dernier accès de désespoir, ma mère a tenu tête à mon père pour la dernière fois.
Elle l'a giflé, comme en réponse à toutes ces années de douleur. Ce fut aussi la pire nuit de sa vie.
Ce soir-là, il lui fit connaître toute la souffrance du monde : violences physiques, verbales, et une conclusion par le viol.
Ce soir-là aussi où, ne pouvant plus supporter cette situation infâme, j'ai saisi le téléphone et, avec tout le courage qui m'habitait à ce moment-là, j'ai appelé la police pour la première fois.

Voilà comment nous en sommes arrivé là...



VII.


Un père en prison, une mère inconsciente à l'hôpital. Je suis seule désormais.
Au tribunal, mon père fut jugé.
Avait-il frappé sa fille ?
Non, disait-il, il avait des principes.

Qu'il ne me fasse pas rire avec ses principes à la con. Cet homme pourri jusqu'à la moelle n'avait jamais eu une once d'amour-propre.
Il avait réduit en miettes l'existence de ma mère, et par la même occasion, une partie de la mienne.

On m'a envoyé en institut spécialisé. J'aurais pu enfin y trouver une place, un substitut de famille, loin de la violence. Mais le cauchemar continua encore pendant ces années-là.
Je devins une vraie furie, frappant à la moindre parole déplacée, les autres comme moi-même.
Le traumatisme de mon enfance était tel qu'il semblait ancré en moi pour toujours.
Je ne voulais qu'une seule chose, c'était m'enfuir loin de tout ça, retrouver mes rêves d'enfant.

« Fly like a bird, in a infinite sky »

À la fin de mes années de pensionnat, j'étais majeure et mon cœur débordait de sentiments contradictoires.
Je n'avais plus eu de nouvelles de ma mère. Je ne savais même pas si elle était encore en vie.
Avec les quelques amis qu'il me restait, nous commençâmes notre longue chute vers les enfers.
Cigarettes, alcools, drogues, violence. Répertoriés délinquants, la haine de la vie nous collait à la peau. Notre vieux squat délabré suffisait à peine à nous servir de toit.

« I'm waiting for paradise »


VIII.


Je grattais distraitement les cordes usées de ma vieille guitare. Après toutes ces années de souffrances et d'entraves, je n'avais pas oublié ces paroles qui me tenait à cœur, il y a une éternité de cela.

« I walked across the universe
Soul in peace, heart in love
Fly like a bird, in a infinite sky
I'm waiting for paradise »

Dans mon cœur déchiré, je ne cessais de rêver à une terre promise.
Mais je perdais petit à petit le fil d'espoir qu'il me restait. Plus je tombais, plus il était dur de me relever.

La drogue était devenue ma nourriture, la violence mon addiction.
Il me semblait bien loin le temps où je me refusais à penser qu'il existait sur cette terre des personnes telles que mon père. Et voilà que j'étais pire que lui !



IX.


J'attendais.



X.


J'attendais quelqu'un qui me sortirait de là. Une main salutaire qui me tirerait à nouveau vers le haut.
Je voulais revoir la lumière. Ne plus chuter interminablement vers l'obscurité.
L'espoir qui semblait m'avoir quitté n'était en réalité jamais parti. C'était la seule chose qui me maintenait en vie, en même temps qu'il me rongeait le cœur. Il devenait ma drogue la plus puissante. Plus que l'alcool, le shit ou l'ecstasy.
Je devenais dépendante, de mes rêves et de la pensée qu'il existait une issue.

Je me jurais que même si cela ne dépendait que de moi, je sortirais de cet enfer.



XI.


Il semble que lorsque l'on gagne quelque chose, on doive en perdre aussi en retour.
J'avais acquis l'ambition de réussir, mais je perdais peu à peu les personnes de mon entourage.
Ils étaient perdus, eux. Ils ne souhaitaient pas un échappatoire. Ils s'éloignèrent de moi, qui avait retrouvé la rage de vivre... et de survivre.

Je cherchais désespérément de l'aide, une épaule sur laquelle m'appuyer.
Je voulais une maison, un travail. Mais ce que je désirais le plus ardemment était de sortir de ma dépendance. Elle me rongeais peu à peu de l'intérieur, telle une bête infiltrée dans mes entrailles.

Je voulais voir ma mère, avoir la preuve qu'elle était en vie. On m'avait éloigné d'elle, des années durant, à l'époque où la violence faisait partie de moi.
Désormais, je ne la supportais plus. Voir une main levée sur quelqu'un me rendait malade. Les voix et les cris des personnes qui aient soufferts de mes coups me hantaient.

« I walked across the universe
Soul in peace, heart in love
Fly like a bird, in a infinite sky
I'm waiting for paradise »

Paradis. Ce mot avait comme un goût nouveau dans ma bouche. Je redécouvrais des saveurs oubliées.
Les cauchemars me quittaient. Les rêves réapparaissaient petit à petit. Une nouvelle force grandissait en moi : l'amour de la vie.

Je mis tous les moyens à ma disposition pour sortir de là. Enfin, je bougeais. J'avais l'impression d'avoir été enfermée, immobilisée pendant un temps qui me paraissait incertain.

Y arriverais-je ?

Le doute m'envahissait parfois. J'avais peur.



XII.


Pendant des mois je l'ai cherché. J'ai parcouru la ville pour la retrouver.
Mon passé était un obstacle à ma détermination. Les gens m'évitaient. J'étais devenue une paria, comme si mon crime était d'avoir trahi ma propre humanité.
J'avais perdu la confiance de la société, cette société que j'avais haï tant de fois et dont je désirais le pardon désormais.

La solitude me hantait.



XIII.


Je me sentais pitoyable.
Je marchais dans la rue. Le froid m'envahissait au travers de mes vêtements miteux. La neige ne tarderait pas à tomber.
Le désespoir me gagnait de nouveau, chaque jour un peu plus que le précédent. Depuis des mois, j'avais tout tenté pour sortir de cet enfer. Mais il semblait que j'étais condamné. Je tournais en rond.
Je serrais les pans de mon vieux manteau. Les larmes qui coulaient gelaient presque sur mes joues.
Il ne me restait qu'une solution... la fin de toutes choses.

Cette fois, j'irais au bout de mes convictions. Qui me regretterais ? Je n'avais plus personne.

« Qui es-tu ? Pourquoi tu pleures ? »

La petite voix qui parla résonna comme un douce mélodie. Un son guilleret de clochette dans un silence de mort. Une main avait agrippée le derrière de mon manteau. Son propriétaire ne devait pas avoir plus de sept ans. Il était si mignon et si familier que mes pensées suicidaires m'abandonnèrent instantanément.

« Tu ressembles à ma maman... »
Il me sembla alors que mon cœur s'arrêtait.
Évidemment...
Je n'avais besoin d'aucune preuve, je la sentais au plus profond de moi, cette vérité éclatante comme un soleil.

« Ma maman, elle m'a dit que ma grande sœur lui ressemblait, c'est toi ? »

« Oui... Oui c'est moi... »

Il m'attrapa de ses petits bras et me serra très fort.

« Viens... Maman t'attend. »

Cet enfant-là était né de la souffrance et l'horreur, mais il apportait joie et espoir à mon cœur meurtri. Mon petit frère.

Neige

Un homme.
Des montagnes.
Une vie.

Une vie s'affaiblissant au rythme du chagrin et de la déception.

Parfois, il suffit d'un regard pour tout changer.
Un regard pour sauver, un regard pour détruire. Aussi effilé qu'une lame, aussi précis qu'une flèche. Il vise juste, au plus profond de nous, pour nous relever ou nous réduire à néant.

Cette histoire est celle d'un homme qui, aussi banal qu'il puisse l'être, fit tout son possible pour comprendre quelque chose à la vie. Cet homme là n'était pas vieux, bien au contraire. Il n'avait ni le physique d'un top model, ni l'intelligence d'un philosophe. Il était lui, tout simplement.

Il n'avait pas vraiment une vue positive de la vie. Il répugnait plutôt à dire que c'était le plus beau cadeau que l'on puisse recevoir. Pour lui, le concept de vie et de mort n'était ni un présent ni une punition. C'était seulement le court naturel des choses. La religion avait tendance à vouloir sans cesse chercher des explications divines sur la création du monde et sur les éléments qui contrôlaient l'écoulement du temps, la météo et toutes ces forces imparables et imprévisibles. Ce n'était que des sottises pour le jeune homme, qui ne croyait qu'en la Nature et en lui-même. Pas qu'il se considérait comme un dieu, loin de lui cette idée, mais lorsqu'on a conscience d'exister et d'être un phénomène naturel, alors pourquoi ne pas croire en soi.

Ce regard, il ne l'oubliera jamais.
« Je te quitte ». Trois ridicules petits mots, chargés de douleur et de chagrin. Elle avait parlé calmement, sans la moindre hésitation, comme si elle avait médité ses paroles longtemps en avance.
Son regard était fixe, déterminé. Elle ne fléchirait pas.
Et puis tout s'était enchaîné. À croire que le malheur entraînait le malheur, sans laisser la plus petite place pour un peu de bonheur. Morts, guerres, autant de mauvaises nouvelles venues pourrir en profondeur le moindre sentiment positif encore présent.

Il lui prenait alors des envies de partir, loin, là où rien ni personne ne pourrait l'atteindre. Il goûterait à une solitude bienfaisante et réconfortante.
Il avait choisit la montagne, les pics escarpés d'une chaîne enneigée.
Il était monté au sommet, révélant à ses yeux toute la splendeur de la Nature et la petitesse de l'Homme, qui se permettait de commander à celle qui l'avait créé.
Emmitouflé dans son manteau, il regardait le soleil darder ses millions de rayons sur une mer de nuages blancs et purs, recouvrant toute civilisation.
Et alors, il réfléchissait. Au sens de la vie, à son rôle à lui, petit être perdu dans l'immensité céleste.
L'espoir de voir sa vie redevenir comme avant était piétiné comme la neige sous ses pieds.
Quel était le but de sa vie ? Souffrir en attendant son heure ou accélérer le cours des choses ? Il y avait souvent pensé, mais lorsqu'il regardait ce paysage parfait, il lui prenait l'envie de rester là, perché sur son sommet éternellement. Mais hélas, rien n'est jamais éternel, et il le savait.

Usure.
Désespoir.
Mort.

Quelques flocons tombaient en scintillant. La main tendue, il les regardait fondre lentement, comme l'Espoir s'évanouissant peu à peu.

Soupir. Que la vie peut être triste et brève parfois...

Il n'y avait pas dans le monde qui s'étalait loin au-dessous de place pour lui. Mieux valait finir ses jours ici, dans la quiétude et la solitude.
Il se sentait si grand, si puissant, du haut de la montagne, qu'il appelait presque sa montagne. Il se sentait bien, il se sentait lui-même.
Le Moi...
Ce simple mot, grand et chargé de sens, capable de briser toute bonne volonté de s'oublier au dépend des autres.

La masse voluptueuse des nuages atténuait les moindres bruits de vie.
Il regardait en bas, sans ressentir de vertige. Seulement une forte attraction de se laisser tomber, porté par la brise légère, tel un oiseau. Peut-être pensait-il que les nuages amortirait sa chute, l'enveloppant dans une douceur et un confort digne de la meilleure publicité pour un quelconque produit sans intérêt.

Tomber.
Voler.
Rêver.

Les bras écartés, comme en signe d'offrande, il s'était avancé au point le plus abrupt et escarpé. Regardant le vide sans la moindre peur, il s'était laissé tomber...

Il ne verrait jamais le chagrin et le regret qui l'avait envahit, elle, qui avait était la cause de tout.
Le désespoir entraîne la mort, qui entraîne le chagrin. Une boucle sans fin, qui ne se terminera que dans la mort.

Un homme.
Des montagnes.
Une vie.